Vassalité


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Posted by andreas from p3EE3C244.dip.t-dialin.net (62.227.194.68) on Friday, September 27, 2002 at 8:01AM :

Le Monde Diplomatique

Vassalité


Par IGNACIO RAMONET

UN empire n'a pas d'alliés, il n'a que des vassaux. La plupart des Etats de l'Union européenne semblent avoir oublié cette réalité historique. Sous nos yeux, et sous les pressions de Washington, qui les contraint à s'enrôler dans sa guerre contre l'Irak, des pays en principe souverains se laissent ainsi réduire à la triste condition de satellites.

On s'est beaucoup demandé ce qui avait changé dans la politique internationale à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Après la publication, le 20 septembre dernier, par l'administration américaine, d'un document définissant la nouvelle « stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis (1) », on connaît la réponse. L'architecture géopolitique comporte désormais en son sommet une unique hyperpuissance, les Etats-Unis, qui « jouissent d'une force militaire sans égale » et qui n'hésiteront pas « à agir seuls, si nécessaire, pour exercer [leur] droit à l'autodéfense en agissant à titre préventif ». Une fois identifiée une « menace imminente », « l'Amérique interviendra avant même que la menace ne se concrétise ».

En clair, cette doctrine rétablit le droit à la « guerre préventive » que Hitler appliqua en 1941 contre l'Union soviétique, et le Japon, la même année, à Pearl Harbor contre les Etats-Unis... Elle efface également un principe fondamental du droit international, adopté lors du traité de Westphalie, en 1648, établissant qu'un Etat n'intervient pas, et surtout pas militairement, dans les affaires intérieures d'un autre Etat souverain (principe bafoué en 1999, lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo...).

Tout cela signifie que l'ordre international fondé en 1945, à l'issue de la seconde guerre mondiale, et régi par l'Organisation des Nations unies (ONU) vient de prendre fin. A la différence de la situation que le monde connut pendant une décennie, après la chute du mur de Berlin (1989), Washington assume désormais sans complexe sa position de « leader global ». Et le fait de surcroît avec mépris et arrogance. La condition d'empire, naguère considérée comme une accusation typique d'un « antiaméricanisme primaire », est ouvertement revendiquée par les faucons qui pullulent autour du président Bush.

A peine mentionnées dans le document du 20 septembre, les Nations unies sont en conséquence marginalisées, ou réduites à une chambre d'enregistrement devant s'incliner face aux décisions de Washington. Car un empire ne se plie à nulle loi qu'il n'ait promulguée. Sa loi se transforme en Loi universelle. Et faire respecter cette Loi par tous, au besoin par la force, devient sa « mission impériale ». La boucle étant ainsi bouclée.

Sans prendre forcément conscience du changement structurel en cours, beaucoup de dirigeants européens (au Royaume-Uni, Italie, Espagne, Pays-Bas, Portugal, Danemark, Suède...) adoptent déjà, à l'égard de l'empire américain, dans un réflexe de caniche, l'attitude de servile soumission qui sied aux fidèles vassaux. Bradant au passage indépendance nationale, souveraineté et démocratie. Mentalement, ils ont franchi la ligne qui sépare l'allié de l'inféodé, le partenaire de la marionnette. Ils implorent, si possible, après la victoire américaine, une goutte du pétrole irakien...

Car nul n'ignore que, au-delà des arguments avancés (2), l'un des buts principaux de la guerre annoncée contre l'Irak est effectivement le pétrole. Faire main basse sur les deuxièmes réserves mondiales d'hydrocarbures permettrait au président Bush de bouleverser entièrement le marché pétrolier planétaire. Sous protectorat américain, l'Irak pourrait rapidement doubler sa production de brut, ce qui aurait pour conséquence immédiate de faire chuter les prix du pétrole et, peut-être, de relancer la croissance aux Etats-Unis.

Cela permettrait également de viser d'autres objectifs stratégiques.

En premier lieu, porter un coup très dur à l'une des bêtes noires de Washington, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), et par ricochet à certains de ses pays membres, en particulier la Libye, l'Iran et le Venezuela (mais des pays amis ne seraient pas épargnés, comme le Mexique, l'Indonésie, le Nigeria ou l'Algérie...).

En second lieu, le contrôle du pétrole irakien favoriserait une prise de distance à l'égard de l'Arabie saoudite, de plus en plus considérée comme un sanctuaire de l'islamisme radical. Dans un (improbable) scénario wilsonien de remodelage de la carte du Proche-Orient (3), annoncé par le vice-président Richard Cheney, l'Arabie saoudite pourrait être démantelée et un émirat, sous protectorat américain, établi dans la riche province de Hassa, où sont situés les principaux gisements de pétrole et dont la population est majoritairement chiite.

Dans une telle perspective, le conflit contre l'Irak ne ferait que précéder, à courte échéance, une attaque contre l'Iran, pays déjà classé par M. Bush comme membre de l'« axe du Mal ». Les réserves iraniennes en hydrocarbures venant compléter le fabuleux butin dont compte s'emparer Washington dans cette première guerre de la nouvelle ère impériale...

L'Europe peut-elle s'opposer à cette périlleuse aventure ? Oui. Comment ? D'abord en usant de son double droit de veto (France, Royaume-Uni) au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Ensuite, en bloquant l'instrument militaire, l'OTAN, dont compte se servir Washington pour son expansion impériale et dont l'utilisation est soumise au vote des Etats européens (4). Dans les deux cas, ceux-ci devraient alors se comporter vraiment en partenaires. Et non en vassaux.

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1) Télécharger ci-contre ici le texte original ; le site lemonde.fr

http://www.lemonde.fr/imprimer_article_ref/0,9750,3209--291514,00.html

en propose une traduction intégrale en français.
http://medias.lemonde.fr/medias/pdf_obj/docbushstrategfra020920.pdf

(2) Nombre d'accusations portées contre l'odieux régime irakien pourraient s'appliquer à des amis des Etats-Unis. Par exemple, Israël, qui défie depuis 35 ans l'ONU, possède des armes de destruction massive, biologiques, chimiques et nucléaires, et occupe militairement, depuis 1967, des territoires étrangers. Ou le Pakistan qui, défiant les traités internationaux, possède également des armes nucléaires, des missiles balistiques et soutient des groupes armés se livrant à des actions violentes au Cachemire indien...

(3) Auquel s'opposerait la Turquie, qui ne veut à aucun prix d'un Etat kurde dans la région.

(4) Lire William Pfaff, « NATO's Europeans could say no », International Herald Tribune, 25 juillet 2002.



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